Internet, un outil au service de la bonne gouvernance au Sénégal

Publié le par Mamadou NDIAYE

Nous savons avec M. Castells que l’Internet est né « d’une rencontre hautement improbable » entre la « méga-science », la recherche militaire et la culture libertaire. Il « s’est développé dans un environnement sûr (fonds publics et recherche désintéressée), mais qui n’a brimé ni la liberté de pensée ni l’innovation ». Cette liberté caractéristique des concepteurs de l’Internet associée à la culture des hackers a certainement fait de lui "le support technologique de la communication horizontale et d’une nouvelle forme de liberté d’expression. Elle pose ainsi les bases de l’utilisation de la “mise en réseau par décision autonome” pour s’organiser, agir ensemble et produire du sens".

La capacité d’action collective qu’offre l’Internet est en train de jouer un rôle croissant dans la modification de la démocratie traditionnelle. Nous assistons à l’émergence d’une cyberdémocratie et à une utilisation toujours plus importante de ce média dans la gouvernance publique.

Pour qu’elle soit vraiment effective, la bonne gouvernance suppose des citoyens bien informés, consultés régulièrement et qui participent au processus de prise de décision. Avec le développement des TIC, de nombreux pays mettent en place des cyber-stratégies dont les objectifs principaux sont d’informer le citoyen, lui permettre d’interagir avec le gouvernement et simplifier sa relation avec l’administration.

Au Sénégal, pour rendre plus accessible le service public, un portail d’information sur les démarches administratives a été mis en ligne le 24 mai 2006. Il combine des objectifs de service au citoyen et d’appui à la bonne gouvernance. Nous l’analyserons dans ce chapitre. Mais auparavant, nous parlerons de la refonte des sites Web publics.

La refonte des sites Web publics

Les citoyens exigent une meilleure information, une consultation plus accrue et une participation plus active dans le processus de prise de décisions. Aujourd’hui, le gouvernement électronique offre aux autorités publiques l’opportunité de proposer aux citoyens des informations de qualité, d’interagir avec eux et de les encourager à participer à l’élaboration de politiques publiques. Cependant, pour réussir cette mission, il faudra disposer nécessairement de sites publics de qualité et régulièrement mis à jour.

En juillet 2003, 108 services de l’Administration sénégalaise déclaraient disposer d’un site Internet. Grâce à la coopération canadienne, le serveur installé en 1997 à la Primature hébergeait le site officiel du gouvernement. Plusieurs ministères et institutions publiques avaient aussi fait développer des sites par des entreprises privées. Cependant, selon Olivier Sagna, ces sites étaient caractérisés "par leur pauvreté sur le plan informationnel, l’obsolescence des informations et leur faible utilité pour ne pas dire leur inutilité pour les citoyens, pour le secteur privé, pour les collectivités locales, pour les ONG, pour les développeurs comme pour les décideurs politiques".

Aussi, ces sites hébergés, pour la plupart, par des sociétés privés ou des institutions étrangères n’adoptaient pas les mêmes chartes graphiques et le même style concernant les adresses.

Par conséquent, pour pallier ces nombreuses défaillances, l’Agence de l’informatique de l’État (ADIE) a engagé un processus de refonte de tous les sites des ministères et des institutions de la République. Pourles ministères qui ne disposent pas de site Internet, l’agence les a aidé à en acquérir. Au total, au 15 juillet septembre 2009, 32 sites ministériels ont été refaits ou construits avec l’appui de l’ADIE et hébergés dans le centre de ressources du réseau de l’intranet gouvernemental (http://www.adie.sn/article.php3?id_article=107). Tous les sites refaits ou nouvellement développés obéissent à une charte commune tournée vers l’avènement des services en ligne pour les citoyens.

 Dans tous les sites des ministères visités, nous avons constaté l’existence d’une rubrique « services aux usagers » (http://www.forcesarmees.gouv.sn, http://www.diplomatie.gouv.sn, http://www.interieur.gouv.sn). D’autres rubriques présentent le ministre, l’organigramme du ministère, les services rattachés et leurs missions. L’annuaire et les contacts des principaux collaborateurs des ministres sont disponibles sur certains sites. Des documents, des publications et des informations sur l’actualité des ministères sont également proposés aux visiteurs. Enfin, sur la majorité des sites, un moteur de recherche est installé.

Sur la base de ces constatations, nous pouvons dire qu’avec les sites des ministères rénovés et harmonisés, les fondements d’un véritable service en ligne pour les citoyens sont posés. Dans chaque site de ministère, le citoyen a désormais la possibilité de consulter l’annuaire pour contacter le ministre ou ses collaborateurs, de disposer d’informations sur les activités du ministre, sur les projets en cours dans le ministère, sur ses propres démarches administratives et sur ses droits. Les informations délivrées sur ces sites sont sûres, fiables et de qualité car avant leur mise en ligne, elles ont été soumises à un processus de validation piloté par l’ADIE.

Cependant, la fiabilité de ces informations risque d’être sérieusement remise en cause si des efforts permanents ne sont pas déployés pour la mise à jour des sites. À ce propos, nous avons constaté qu’une grande majorité de ministères ne mentionnent pas la date des dernières mises à jour de leurs sites.

Toutefois, en mettant l’information gouvernementale en ligne, l’Administration joue la carte de la transparence et partage l’information. Grâce aux sites des organismes publics, l’information est plus accessible surtout pour les chercheurs, étudiants ou universitaires établis à l’étranger et qui ne sont plus obligés de prendre l’avion pour photocopier un rapport ou un projet de loi. Cependant, cette base documentaire pourrait être mieux enrichie si tous les ministères et organismes publics mettaient en ligne tous les documents et rapports non confidentiels. Ce qui n’est pas encore le cas. Pour compléter ce dispositif, un site des démarches administratives a été lancé et financé par le Sénégal avec l’appui technique de la Coopération française.

Le site des démarches administratives : un outil de bonne gouvernance 

Les Sénégalais ont l’habitude de se déplacer vers les services administratifs pour accomplir leurs démarches ou tout simplement pour avoir une information à propos d’une démarche. Les personnes interrogées dans le cadre de cette étude expliquent leurs choix par le fait qu’en se rendant au guichet, leurs demandes sont prises en compte plus rapidement. Souvent, des citoyens font plusieurs dizaines de kilomètres pour aller à la rencontre des agents de l’Administration. Cette situation a pour conséquences, pour le citoyen, des files d’attentes interminables, une perte de temps et d’argent. Pour l’Administration, le déplacement massif des usagers dans les services publics ainsi que leurs nombreux appels occasionnent la saturation des locaux et des lignes téléphoniques. Ce qui réduit considérablement la productivité et l’efficacité de l’Administration. Par conséquent, conscientes de ces problèmes, les autorités politiques sénégalaises, avec l’appui de la Coopération française, ont lancé le 24 mai 2006 un portail exclusivement réservé à l’information des citoyens sur leurs démarches administratives. En rendant l’Administration plus efficace, plus proche et plus accessible pour le citoyen, ce site constitue, selon le mot du Président Wade, un « outil de bonne gouvernance ».

Pour l’État du Sénégal, ce portail est un projet politique: "les lacunes dans l’irrigation administrative d’une partie du territoire exprime la faiblesse de l’État et les inégalités sociales qu’elle engendre. Amener l’Administration et les textes réglementaires à l’ensemble des administrés quel que soit leur lieu de résidence via des bases de données électroniques, permet à l’État de préserver voire d’augmenter le contrôle de son territoire. […] Un accès facile aux informations et aux documents administratifs par les usagers des administrations publiques est considéré aujourd’hui comme un objectif de bonne gouvernance. […] Les conditions d’un accès équitable à l’information étant réunies plus qu’ailleurs, le développement d’une administration électronique efficace prend ici tout son sens et permettra de renforcer l’État de droit".

À travers ces extraits, nous pouvons dire que ce portail vise trois objectifs :

-informer le citoyen ;

-simplifier et moderniser l’Administration ;

-servir de point de départ pour une administration électronique.

En rendant accessible à une majorité d’usagers, particuliers et professionnels, une information administrative fiable, simple et structurée en fonction de leurs sujets de préoccupation, ce site est en lui-même, un outil pour la bonne gouvernance. Il est conçu avec deux espaces : l’un pour les particuliers et l’autre pour les professionnels ou entreprises. Pour chaque espace, les démarches sont classées par thème (logement, papier, transport, vie de l’entreprise, ressources humaines, etc.) pour permettre aux utilisateurs de se repérer rapidement. Ce site oriente les usagers vers les services compétents en leur fournissant des documents-types à télécharger et des renseignements permettant de démarrer la procédure : les pièces à fournir, les adresses et horaires d’ouverture des services compétents, les délais, les textes juridiques de référence, etc. Il les informe également sur leurs droits et obligations car à côté de chaque démarche, un lien menant aux textes juridiques de référence est rattaché.

Munis de toutes ces informations, les usagers éviteront certainement des déplacements coûteux et souvent infructueux mais aussi et surtout les abus des agents corrompus ou démarcheurs. En août 2006, plus de 100 démarches concernant une douzaine de ministères ont été mises en ligne. Aujourd’hui, plus de 400 démarches sont disponibles sur ce site. Pour informer les populations de l’existence de cet outil et pour les inciter à se l’approprier, l’ADIE mène actuellement une grande campagne de communication. Ainsi, des plaquettes et des dépliants sont diffusés par l’agence.

Cependant, avec un taux de scolarisation de 55,7% et des foyers sous-équipés en matériels informatiques, il faut reconnaître que ce portail d’information sur les démarches administratives ne sera profitable qu’à une minorité de citoyens pour ne pas dire à l’élite. C’est pour cette raison que les cybercafés, les centres d’accès communautaires ou les centres multimédias communautaires (CMC) mis en place par l’UNESCO ont un rôle important à jouer dans l’accès collectif. Aussi, selon l’ADIE, les services d’accueil des ministères seront équipés d’un poste d’accueil et d’information. Le personnel se connectera à ce site et donnera à chaque visiteur les premières informations nécessaires à l’accomplissement de sa démarche.

La conférence nationale et la révision constitutionnelle ont été les chemins choisis par la plupart des États africains pour accéder au multipartisme et à la démocratie. Ce ne fut pas le cas pour le Sénégal car il jouissait déjà d’une longue tradition démocratique qui la rangeait parmi les « vieilles démocraties africaines ». Par conséquent, dans ce pays où les cadres du pluralisme démocratique sont fixés depuis plusieurs décennies, les partis d’opposition, la société civile et les partenaires sociaux ne se battent plus pour la mise en place de la démocratie mais plutôt pour son perfectionnement, son approfondissement, sa consolidation et enfin pour le maintien des acquis sociaux. Aussi, du côté des autorités étatiques, la volonté d’approfondir les pratiques de bonne gouvernance revient, de manière récurrente, dans leurs discours.

Le portail d’information sur les démarches administratives constitue un véritable outil pour la bonne gouvernance au Sénégal. Les citoyens qui y ont accès sont mieux informés, connaissent mieux leurs droits et devoirs et, par conséquent, sont mieux armés pour faire face à la corruption ou à l’arbitraire. Contrairement aux sites des ministères, ce portail est beaucoup plus interactif et les mises à jour sont régulières. De nombreux formulaires téléchargeables y sont proposés. Lors de l’entretien qu’il nous a accordé en mai 2009, feu Cheikhou Ly (alors Directeur des Relations extérieures et de la Communication de l’ADIE) nous confiait que l’ADIE entendait aller plus loin en mettant en place des télèprocèdures complètes. Des services vocaux seront également mis en place pour informer, en français et en langues nationales, les citoyens sur leurs démarches. Cette initiative est louable car elle permet de toucher les populations qui ne savent pas lire ou celles qui n’ont pas accès à un ordinateur. Elle touchera également plus de monde car le téléphone, surtout mobile, est très répandu au sein de la population (10 712 052 abonnés).

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