L’éthique et la déontologie sur les sites d’information en ligne au Sénégal

Publié le par Mamadou NDIAYE

Ethique.jpgEn 1996, le Sénégal s’est doté d’une nouvelle loi « pour mieux tenir compte des réalités du nouveau paysage médiatique sénégalais caractérisé par une floraison de journaux et de publications ainsi que par l’ouverture du secteur de l’audiovisuel ». La Loi n° 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale, aux professions de journaliste et de technicien, se proposait de mettre « l’accent sur les notions d’éthique et de responsabilité accrue de la presse sénégalaise afin que celle-ci puisse assurer sa mission d’information avec efficacité et rigueur, liberté et honnêteté »[1].

Un nouveau code de la presse, déposé sur la table du président de l’Assemblé nationale depuis plusieurs mois, et toujours pas voté du fait du refus de certains parlementaires d’acter la dépénalisation du délit de presse, a renforcé les dispositions de la loi de 1996 et les a étendues à la presse en ligne. En attendant le vote de cette loi, les sites web sénégalais d’information ne semblent pas se soucier de l’éthique et de la déontologie dans l’exercice de leur métier.

• Le problème Seneweb

Seneweb[2]existe depuis le début de l’année 1999. Il est devenu un des sites de référence au Sénégal avec ses 250 000 visiteurs quotidiens uniques. Selon Abdou Salam Fall, propriétaire du site, Seneweb a été créé pour promouvoir le dynamisme du Sénégal en matière d'Internet, rapprocher les Sénégalais de la diaspora éparpillés à travers le monde et faciliter l'accès vers les différents acteurs économiques présents ou non encore présents sur le web.

Portail Web le plus visité du pays, Seneweb propose également des éléments multimédias (photos, podcasts, vidéos). Mais comme le site ne dispose pas d’une rédaction composée de journalistes professionnels, le contenu provient essentiellement d’autres sites. Les articles, les chroniques ou revues de presse écrits par des journalistes connus du grand public sont mis en ligne et, souvent, sans autorisation. Cette attitude qui consiste à s’approprier indûment le travail d’autrui pose un problème éthique.

Pour lutter contre ce phénomène, les éditeurs de presse se sont entendus pour faire circuler sur leur site des bandeaux interdisant la reproduction de leurs articles. Sur le site du quotidien national Le Soleil, le visiteur peut lire cet avertissement :

 

« La SSPP[3] Le Soleil met en garde et interdit formellement aux responsables et gestionnaires de sites d'informations, établis au Sénégal ou ailleurs, de poster les articles publiés sur le portail Internet du Soleil, à l'adresse www.lesoleil.sn. La SSPP Le Soleil ne tolérera aucune entorse à cette interdiction. Les gestionnaires de sites qui le souhaitent peuvent adresser une demande de partenariat avec la SSPP Le Soleil qui en définira les modalités et fixera les conditions d'utilisation des articles, photos, logos de son portail Internet.

A défaut de ce partenariat, seule est permise la publication de liens directs pour rediriger l'internaute vers l'adresse www.lesoleil.sn. En cas de manquements, la SSPP Le Soleil va immédiatement engager des poursuites judiciaires envers les contrevenants, pour violation du respect des droit d'auteurs »[4]

• Journalisme, vérification de l’information et recherche du sensationnel

Dans la majorité des sites d’information au Sénégal, les journalistes ou webmasters qui les éditent mettent en ligne des informations souvent non vérifiées, des photos ou vidéos qui visent visiblement à faire sensation. Cette pratique fait d’ailleurs la marque de fabrique des sites Facedakar[5], politicosn[6], 123dakar[7], Leral[8], etc.

 Ces sites ne sont que la transposition sur le web d’une presse populaire qui a fait ses beaux jours au Sénégal dans les années 2000.

En effet, après la presse de l’administration coloniale, la presse officielle d’indépendance et les journaux dits indépendants, avait émergé au Sénégal une nouvelle génération de journaux dont les plus connus étaient Dakar Soir, Le Populaire, L’Actuel, Révélations,Frasques Quotidiennes, Le Tract, Scoop, Le Volcan, La Nouvelle. Excepté ce dernier qui s’était clairement démarqué, ces publications classées sous le nom de presse populaire avaient la caractéristique d’être des journaux qui ne traitaient que de faits divers. Ils s’occupaient des scènes quotidiennes de ménages et du vécu des Sénégalais. Avec le choix de cette ligne éditoriale, ces journaux, qui coûtaient 100f CFA là où leurs concurrents se vendaient pour le double, avaient profité du sentiment de lassitude du public saturé par une information politique quasi uniformisée. Ces publications connaissaient un succès retentissant comme l’attestaient les 40 000 exemplaires que tiraient quotidiennement Mœurs. Ce journal, contrairement aux autres, avait choisi de ne traiter que d’affaires d’adultère, de proxénétisme, de prostitution et de scènes sexuelles décrites dans le moindre détail. Ce qui, dans un pays avec 95 % de musulmans, avait fait l’objet de nombreuses protestations de la part de personnes ou d’associations qui s’étaient dites choquées par les titres de Moeurs. La situation était tellement préoccupante que le SYNPICS, syndicat de journalistes, était obligé de saisir le Conseil pour le Respect de l’Ethique et de la Déontologie (CRED)[9].

Paradoxalement, ce journal marchait bien jusqu’au jour où il s’est mis dans un imbroglio judiciaire (procès d’associations diverses, condamnations pour diffamation, etc.). Pratiquement toutes les autres publications de la presse populaire étaient impliquées dans des affaires de diffamation. Selon des professionnels des médias[10], cette situation s’expliquait par le fait que ces journaux employaient très souvent des pigistes sans formation professionnelle et ne vérifiaient pas souvent les informations qu’ils publiaient. Ce qui posait le problème de l’éthique et de la déontologie.

Aujourd’hui, la pratique n’a pas changé. Ce qui a changé, c’est le support. Internet est devenu l’endroit privilégié des révélations gratuites, des insultes ou autres chantages. Le 14 novembre 2011, Politicosn publie un article qui fait état de la volonté de Karim Wade, fils du Chef d’Etat Abdoulaye Wade, « de lancer un parti politique »[11]. Il semblerait même qu’un « de ses proches a déjà déposé une demande au ministère de l’intérieur dans ce sens ». Cette information ne s’est pas avérée par la suite. D’ailleurs, quelques heures après la mise en ligne de cet article, Aziz, un internaute, à notre avis assez averti, s’est empressé de publier le commentaire suivant : « Pur mensonge. Il fallait juste appeler le ministère de l’intérieur pour se rendre compte que c’est faux. Même pas un effort de vérification. Qu’avons-nous fait pour mériter une telle presse au Sénégal ? ». Au registre des informations non vérifiées ou des accusations gratuites, on retrouve :  « mon père ma séquestré et violé pendant des jours », les photos nues de telle personnalité (souvent inconnue du grand public) vivant en Europe, « des nuisettes pour clouer les hommes au lit », « mon père m’a engrossée avant de me faire avorter », les enfants de telle personnalité politique empêtrés dans un scandale sexuel ou une affaire de vol, Tel mannequin a couché avec telle star de la ligue 1 française de football ou de la premier league anglaise. Voilà autant de titres que l’on peut lire quotidiennement à la une de ces sites web people.

Dans le cadre de discussions informelles que nous avons eues avec eux, certains promoteurs[12] de sites web ont reconnu que certaines informations mises en ligne sont purement et simplement le produit de leur imagination. Aussi, ces sites parlent souvent de sexualité ou mettent en ligne des photos de filles à la poitrine sulfureuse. L’objectif principal est de faire exploser les audiences, le nombre de clics ; un argument fondamental pour décrocher des contrats publicitaires. Cette pratique semble donner raison à Daniel Cornu quand il affirme que « l’entreprise de presse qui se donne pour objectif d’informer le public n’est pas dispensée – sous prétexte de la production d’un bien collectif – d’assurer son équilibre financier et si possible de dégager des profits […] La pratique du journalisme s’inscrit donc nécessairement dans une logique de marché » (Cornu 2002, 3).  

Cette technique semble marcher car ces sites, même s’ils ne soucient pas du tout des principes éthiques et déontologiques, jouissent d’une très bonne audience.

• Journalisme, manipulation et respect de la vie privée

L’article 34 de la Loi n° 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale, aux professions de journaliste et de technicien prescrit que « Le journaliste ou le technicien de la communication sociale est tenu de respecter la vie privée des personnes, dès lors que celle-ci n’interfère pas avec les charges publiques dont les dites personnes sont ou prétendent être investies ».

De nombreux sites sénégalais ne semblent pas intégrer cette disposition de la loi. L’affaire « Mouhamed » en est l’exemple type.

Senewebn’a pas hésité à mettre en ligne la photo d’un enfant de 5 ans, mort sur son lit d’hôpital le 30 mars 2011. Selon l’article incriminé, l’enfant est décédé à cause d’une évacuation tardive en France. Ce retard étant dû, selon le père résidant à Strasbourg, à un refus du consulat de France à Dakar de délivrer le visa à l’enfant et à son médecin traitant. Après plusieurs démarches, un médecin, détenant un visa pour la France, a fini par se proposer. Ainsi, « Seydina Mouhamed quitte finalement Dakar dans la soirée du samedi au dimanche pour arriver à Paris après un transit au Maroc. Selon les témoignages de son père, l’enfant est arrivé à Paris dans un état critique. Il était dans le coma avec une infection pulmonaire. Il ne s’était pas alimenté durant des heures. D’ailleurs, c’est par hélicoptère qu’il est acheminé à l’hôpital de Strasbourg »[13]. L’enfant décéda par la suite. Le père, mécontent de la tournure prise par ces événements dépose une plainte contre le consulat de France à Dakar et demande à Seneweb de publier la photo macabre de l’enfant.

Une telle photo pouvait-elle être publiée, même avec l’autorisation du papa de l’enfant ? Selon nous, la réponse est non. La publication de cette photo va à l’encontre de l’article 33 de la Loi n° 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale, aux professions de journaliste et de technicien. Il dispose que « dans l'exercice de sa liberté d'expression, le journaliste doit respecter les convictions religieuses, politiques ou philosophiques du public auquel il s'adresse, même s'il ne les partage pas. Il doit en outre respecter scrupuleusement le principe de la non discrimination en raison de la race, de l'ethnie, du sexe ou de l'origine nationale ». De même, l’article 34 dit clairement que le journaliste doit respecter la vie privée des personnes. Or, il suffit juste de lire les différents commentaires du forum pour se rendre compte de la violence de cette image et l’émotion qu’elle a suscitée. Seneweb a pris le soin de dire en nota bene que la photo a été publiée « avec l'autorisation des parents ». Cependant, nous pensons qu’il appartient au journaliste et non au papa de l’enfant de juger de ce qui est publiable ou pas. Dans cette affaire, Seneweb a été victime de manipulation de la part de la famille, qui pensait pouvoir régler ses comptes avec la France en publiant la photo. D’ailleurs, à la suite de cet article, il y a eu principalement deux types de réaction : celui hostile à la France et une autre portée par ceux qui ont été choqués par la diffusion de cette photo.

Au moment où « The patriot », un internaute, s’exclame dans un commentaire « au Diable l'Ambassade de France au Senegal! », « Triste »[14] réplique en suppliant Seneweb d’enlever cette image car elle est trop triste. De même, « Oui » affirme « Ambassade France, une institution à dissoudre, ils sont inhumains » alors que « Undefined » s’adresse à Seneweb en ces termes : « enlevez cette photo s’il vous plaît juste par respect aux enfants et aux malades, franchement vous ne respectez pas les êtres humains que nous sommes ».

Quelles que soient les préoccupations des uns et des autres, le journaliste est tenu de respecter la vie privée du citoyen et la présomption d’innocence s’il fait l’objet d’une accusation. Le 2 novembre 2011, Leral n’a pas hésité à titrer « la pèlerine sénégalaise accusée de vol recouvre la liberté et donne sa version des faits »[15]. Mais ce qui est gênant dans le traitement de cette affaire, c’est que Leral a mis en ligne la photo de la dame et a tenu à préciser que Le Quotidien (un quotidien sénégalais) informe que Ndèye Diagne Guèye est coutumière des faits car « elle aurait été appréhendée par le passé pour vol de bijoux au cours d’un pèlerinage » à la Mecque. Une manière assez pernicieuse de dire qu’elle a été libérée mais malgré tout, elle est coupable. Ce qui a mis en colère beaucoup de lecteurs et principalement « Xeme » qui a tenu à réagir de manière véhémente : 

« Je ne comprends pas que Leral veuille terminer par rappeler que: " Pourtant Le Quotidien nous apprend que Ndèye Diagne Guèye est coutumier des faits." D'abord, on dit "coutumière" parce qu'il s'agit d'une dame. Mais je dénonce la méthode utilisée par Leral. Jusque là la version des journalistes a fait le tour du Sénégal, pour une fois qu'on a la version de la concernée, il fallait la publier et laisser aux lecteurs l’appréciation. Mais la publier et tout de suite vouloir l'anéantir par une affirmation du Quotidien connu pour ses mensonges quotidiens, c'est vraiment gauche ».

 

L'éthique, la déontologie et la responsabilité ne sont pas l'apanage de la profession de journaliste. L’éthique relève le plus souvent de la morale et des convictions philosophiques ou religieuses. En tant que telle, chacun peut en avoir, que l’on soit journaliste ou pas. Pour Daniel Cornu, l’éthique « est comprise comme la mise en jeu personnelle d’un ensemble de valeurs librement adoptées par un individu » (Cornu 1997, 4). Chaque citoyen peut, donc, aussi s'en réclamer et y porter une attention de tous les instants. Le journaliste et consultant Mouhamadou Tidiane Kasse ira plus loin quand il affirme que l’éthique est

« un choix qui repose sur un déterminisme individuel qui justifie le choix de dire ou de taire, mais surtout de trouver une manière d’informer sans porter atteinte aux droits des individus, à la vie privée d’un citoyen, sans heurter la société dans ses valeurs fondamentales. Il ne s’agit ni de censure, ni d’autocensure, seulement de juste mesure à respecter » (PANOS 1996, 200).

Alors que l’éthique relève de la dimension individuelle, la déontologie est du domaine public et est l’affaire des professionnels. La déontologie est un ensemble de règles, de prescriptions, de devoirs régissant une activité professionnelle. Henri Pigeat précise que la déontologie « revêt la portée limitée d’une morale propre à l’activité journalistique » (Pigeat 1997, 85). Claude-Jean Bertrand va plus loin quand il assimile la déontologie à l’ensemble des M*A*R*S (Moyens d’assurer la responsabilité sociale). Il appelle M*A*R*S : « tout moyen non étatique utilisé pour rendre les médias responsables vis-à-vis du public » (Bertrand 1999, 81). Dans ces conditions, les utilisateurs des médias sociaux sont-ils liés par les principes éthiques et déontologiques ?



[1] République du Sénégal, « Loi n° 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale, aux professions de journaliste et de technicien ».

[3] Société Sénégalaise de Presse et de Publications (SSPP).

[4] http://www.lesoleil.sn/ date de vérification à ajouter à tous les URL.

[9] Devenu, aujourd’hui, Conseil pour le Respect de l'Ethique et de la Déontologie (CORED).

[10] Entretiens et enquêtes réalisées en mai 2001 dans le cadre d’un mémoire pour l’obtention du Diplôme universitaire de recherche en Communication : « Le rôle des médias privés dans la réalisation de l’alternance politique au Sénégal », sous la direction du Professeur Annie Lenoble Bart, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3.

[12] Au Sénégal, les promoteurs de journaux en ligne sont majoritairement des journalistes qui ont eu à exercer leur métier dans d’autres groupes de presse.

[14] Sur le forum de Seneweb, les internautes utilisent tous des pseudonymes.

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V
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I
merci pour la pertinente remarque sur notre presse en ligne qui montre le manque notoire de professionnalisme de la part de certaines éditeurs de ces sites
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K
C'est la même chose au Gabon, c'est presque un malaise général.
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M
Content d'avoir découvert ton blog.
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